À l’heure où cet article sera publié, je serai en séminaire à Reims en train de boire du champagne faire le bilan de cette année d’échange et la passation auprès de la nouvelle promotion. Cette fois-ci, ce sera à moi de transmettre mes 10 commandements aux collègues nouvellement insérés dans le Programme Élysée Prim, alors qu’un an auparavant, je les recevais. À ce sujet, ma web-série aura encore d’autres épisodes (je pense même arriver aux 10 épisodes), mais, par définition, il y en a plein qui ne pourront être (in)validés qu’en fin d’année. Voici donc, en attendant la fin de la web-série, mes 10 commandements.

#1 Vigipirate tu oublieras
L’Allemagne n’a pas été épargnée par les attentats : il y a eu Munich en début d’année scolaire, puis Berlin avant Noël. Et d’autres incidents malheureusement trop « minimes » pour être relayés par la presse. Pour autant, les habitudes sécuritaires n’ont pas changé : j’ai continué à traverser le centre commercial à côté de chez moi sans montrer mon sac à l’entrée, même quand l’élection de Miss et Mister Westdeutschland y a eu lieu ; je n’ai pas vu davantage de policiers dans les gares ; et, surtout – chose qui a frappé mes parents lorsqu’ils m’ont rendu visite – les grilles de mon école sont toujours ouvertes. Oui, vraiment ouvertes, de jour comme de nuit, et n’importe qui (parents, enseignants, enfants, et même visiteurs externes) peut y entrer comme il le souhaite. C’est ainsi qu’un samedi matin, j’ai pu montrer la cour de mon école à une collègue en visite à Kassel, et que ma soeur a pu assister à mes cours sans autorisation préalable. Les sorties scolaires ne nécessitent pas autant de démarches administratives qu’en France : il suffit de prévenir la direction que l’on sort, rien d’autre. À l’arrivée des beaux jours et des plages de Hitzefrei, on peut même décider de manière spontan de ne pas faire cours et d’emmener les élèves au Spielplatz (aire de jeux) sans rendre de compte à qui que ce soit.
Quand je pense qu’en France, un gardien m’a déjà refusé l’accès dans une école au motif qu’en raison du plan Vigipirate, il ne pouvait pas laisser entrer des inconnus… je me prépare mentalement à revivre ce genre de situation lorsque cet été, je me présenterai dans les écoles dans lesquelles je serai affectée.

#2 Avec ta langue maternelle tu renoueras
Professionnellement bien sûr, enseigner le Français en tant que langue étrangère m’a amenée à réfléchir sur ma langue maternelle, et cela n’a rien à voir avec l’enseignement du Français à des élèves francophones.
Également en-dehors du travail, cette année m’a permis d’une certaine manière de recentrer mon rapport à la langue française. En vivant dans un pays de langue étrangère, même si l’on se sent de plus en plus à l’aise avec ladite langue, maîtriser totalement une langue vivante vient à manquer. C’est ce que je réponds souvent quand on me demande ce qui me manque de la France : rien de matériel (le fromage et le vin rouge ne me manquent pas, surtout quand il est possible d’en trouver au supermarché), juste le contact avec la langue française. Mes moments d’écriture sur Apfelschorle ont ainsi été mes pauses françaises : Chante France en fond sonore pour le contact auditif (merci à la radio en ligne de me permettre de me maintenir à niveau pour « N’oubliez pas les paroles »), des brouillons d’articles en écriture pour le contact écrit.

#3 Le liquide au quotidien tu manipuleras
Sans doute le changement le plus anecdotique mais pas si anodin que cela dans mon quotidien. Je ne vous refais pas l’historique, je l’avais déjà détaillé ici.

#4 De ton pouvoir d’achat tu profiteras
Continuons dans le thème de l’argent. Outre l’augmentation du point d’indice cumulée à la baisse du prix des transports à Kassel qui ont conduit à augmenter mon pouvoir d’achat de manière fulgurante, la vie en Allemagne est moins chère. Certes, je n’ai pas habité dans une « grande ville », mais même, une ville allemande de taille importante offre, en comparaison à une grande ville française, un niveau de vie meilleur, ou un niveau de vie équivalent pour un moindre coût. Et je ne dresse pas de comparaison Paris/Berlin car, justement, il n’y a pas de comparaison possible.
Une année en Allemagne, c’est donc l’occasion de faire des économies sur ses produits du quotidien grâce à DM, d’aller plus souvent au restaurant sans attendre les réductions de LaFourchette, et de consommer des bières comme on achète sa baguette de pain.
Pour les plus curieux, et parce que je sais aussi que l’aspect financier est un point qui freine certains collègues à se lancer dans le Programme Élysée Prim, je consacrerai bientôt un article à ce sujet pour lever toute hésitation.

#5 Un véritable ambassadeur de la France tu seras
Je vous en avais déjà parlé, et dès le premier séminaire, nous avions été mis en garde : être enseignant en échange, c’est être ambassadeur de son pays. C’est vrai. Cela va des questions sur Bienvenue chez les Ch’tis aux discutions sur les présidentielles en passant par un tas de sujets sur la langue française, et, bien sûr, la gastronomie. Les Allemands que j’ai rencontrés cette année ont globalement une image positive de la France, et se sont montrés curieux. J’ai apprécié répondre à leurs questions, modérer leurs images pré-construites sur le pays, et créer ou renforcer, sans doute malgré moi, d’autres clichés sur les Français.
Tout cela montre qu’au-delà des élèves et de la langue française, le Programme Élysée Prim se propage en-dehors des murs de l’école. C’est là tout l’intérêt d’avoir un professeur natif du pays de la langue enseignée.

#5 (Encore plus) zen tu deviendras
Je ne suis pas d’un tempérament inquiet, mais je constate tout de même avoir gagné un cran en zénitude en vivant un an en Allemagne. C’était d’ailleurs la toute première remarque de mon oncle lorsqu’il m’a retrouvée à Kassel. Je sais que je ne pourrai pas tout retransposer de ma vie en Allemagne à mon retour en France, mais il y a certaines choses que je compte bien calquer l’année prochaine sur mon travail ici (article à venir).
Finalement, la seule inquiétude que j’avais formulée lors du premier séminaire de préparation à l’échange demeure l’unique que j’ai connue durant mon séjour : ne pas avoir envie de rentrer en France. J’avais vu juste. Mais, je le concède, il y a largement pire comme souci dans la vie.

#6 De tes amis français tu te rapprocheras
« Loin des yeux, loin du coeur »… mais pas de tous ses amis. Le fait d’être loin pour un an suscite la curiosité des uns, confère un statut à part pour d’autres. J’ai ainsi eu davantage d’échanges avec certains que ce que je n’aurais sans doute eu en restant en France. Et lors de mes brefs retours en France, je suis sûre que le fait de revenir de loin pour un temps réduit a joué dans la motivation de certains à me revoir. Être proche tout en étant loin : c’est l’un des paradoxes de l’expatrié.

#7 La Pünktlichkeit (ponctualité) tu apprécieras
… et à la non-Pünktlichkeit en France contraint de te réhabituer tu seras.
Il faut le vivre pour le croire ! Par chance, je suis rarement en retard, et surtout cette année, j’ai mis un point d’honneur à ne jamais l’être. Mais je suis encore loin de la précision germanique : pour moi, être à l’heure est synonyme d’être en avance, tandis que les Allemands ont un don pour la Pünktlichkeit assez impressionnant. Qu’il s’agisse d’un rendez-vous avec une collègue en Lehrerzimmer (salle des maîtres), avec mon coloc’ pour sortir dîner avec des amis, ou encore un cours à la salle de sport, à chaque fois, j’ai vécu la même chose : j’ai attendu (car en avance), jusqu’à moins une minute avant l’heure fixée, rien, et à pile l’heure fixée, la personne était là. Impressionnant !
Inutile de préciser Mesdemoiselles qu’il serait, je pense, malvenu d’arriver en retard à un rendez-vous galant avec un Allemand pour vous faire désirer… ou sinon, jouez la carte de la Française et expliquez la règle du quart d’heure de courtoisie, votre französischer Akzent pardonnera tout !
La seule exception qui confirme la règle : la Deutsche Bahn… mais cela fera justement l’objet d’un article de ma web-série !

#8 Le pourboire un réflexe deviendra
Régler l’addition est pour moi depuis de nombreux mois indissociable du fait de laisser un pourboire. Cette habitude me suit et me suivra en France (sauf si le serveur me fait fort peu aimablement remarquer que j’ai payé avec un billet vert), même si je n’ai toujours pas trouvé d’équivalent plus élégant que « Vous pouvez garder la monnaie. » au « Stimmt so! » allemand.

#9 Une aisance en Allemand tu acquerras
… et tes réflexes en Français (un peu) tu perdras : j’avoue avoir vérifié ma conjugaison sur le Bescherelle !
Une immersion vaut bien plus que tous les cours, aussi intensifs soient-ils. Désormais, baigner dans l’Allemand au quotidien ne me demande aucun effort, je rêve depuis quelques mois en Allemand, et c’est finalement quand il s’agit de parler Français que les mots ou les tournures me viennent d’abord en Allemand.
Je compte bien à moins retour en France au moins maintenir mon niveau d’Allemand, il serait dommage de perdre tous les progrès effectués… et de recommencer à zéro lorsque je reviendrai en Allemagne.

#10 Rester en Allemagne tu voudras
… ou « pas envie de rentrer en France tu auras », mais la tournure était moins jolie, et je crois aussi que lorsque je suis triste à l’idée de rentrer en France, c’est surtout le fait de quitter l’Allemagne qui me fend le coeur par-dessus tout.
Un article ne suffirait pas à résumer à quel point cette année a été exceptionnelle, épanouissante et ressourçante à tout point de vue. Je sais que cette année restera à jamais ancrée dans mes souvenirs, et qu’il y ait une suite ou non à mes expériences d’expatriée en Allemagne, je ne vivrai pas deux années comme celle-ci. Mais je sens que cette première expérience n’est que le début de mon aventure allemande, et j’aurais même pu intituler ce commandement : « Vivre en Allemagne tu voudras ».

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