Ce que j’ai (enfin) compris du französischer Akzent…

… et pourquoi je suis désormais fière du mien !

Un vendredi soir de juillet, j’étais dans un Biergarten avec mon ami Harald. Lors d’un ravitaillement en boissons au comptoir, ce dernier s’amuse à conseiller des touristes (je rappelle que nous étions en période de documenta) quant au type de bière à commander. De retour sur nos transats, je me moque des conseils avisés d’Harald, car passer pour un expert de la bière auprès de touristes de l’autre bout du monde sous prétexte que l’on est Allemand, c’est un peu facile. J’aurais tout aussi bien pu faire l’affaire et ajoute fièrement qu’ils n’auraient même pas remarqué que je n’étais pas allemande.
Harald a marqué un temps d’arrêt avant de trouver une riposte à mon dernier argument – car il sait depuis le fameux épisode Schöfferhofer-Apfelschorle que le sujet a tendance à me vexer – mais il a fini par trouver une réponse bien argumentée. Certes, les touristes n’auraient entendu que du feu par rapport à l’accent, surtout que je parle très bien allemand. Mais ils auraient deviné que je n’étais pas une véritable allemande parce que lorsque je parle allemand, cela sonne moins dur et beaucoup plus joli que lui. Comme quoi, les Allemands sont parfois capables de faire de véritables compliments.

La douche a été beaucoup plus froide quelques jours plus tard lorsque je suis rentrée en France. Me voilà au wagon-bar du ICE qui me conduit à Paris et, en grande habituée, je commande ma boisson sans aucune hésitation. En allemand bien sûr, question de principe et de logique : nous sommes dans un ICE, nous sommes encore en Allemagne, je me dois de parler allemand, même si l’équipage est bi-national. Le serveur, s’il est français, s’empresse généralement de répondre en Français. C’était d’ailleurs le cas ce jour-là : « Vous êtes Française ? » me demande-t-il d’un air malicieux. Puis il singe de manière caricaturale ma phrase de commande, ajoute : « Ça s’entend, vous parlez allemand comme une Française. », et éclate d’un rire malveillant. Je ne l’aurais pas mal pris si la réplique venait d’un Allemand. Mais là, je suis restée sans voix face à sa répartie peu commerciale. D’autant plus que c’est la bien la première fois qu’un Français se moque de mon allemand. Alors quitte à faire la Française jusqu’au bout, j’ai récupéré ma monnaie jusqu’au dernier cent sans lui laisser de pourboire, en lui laissant ainsi un véritable argument prouvant que je suis Française. Et dire que les Allemandes imaginent que les Français sont de véritables romantiques capables des plus beaux compliments…

Je suis retournée à ma place, ai siroté mon dernier Apfelschorle, songeuse. J’ai repensé au compliment d’Harald et tout s’est éclairé. Je pensais en fait que le radar à französischer Akzent des Allemands se déclenchait à cause de la prononciation, ce qui avait tendance à me vexer car justement, je m’applique beaucoup en la matière. Le point culminant de cette vexation eut lieu le jour où, toute fière, je faisais la remarque à mon coloc’ que, selon mes oreilles, leur avant-dernière colocataire (Française elle aussi) avait un fort accent français, et qu’il m’avait répondu instantanément que moi aussi. Voyant ma mine interloquée, il avait ajouté qu’il reconnaissait cependant que le mien sonnait très différemment, sans pour autant être en mesure de me l’expliquer. Et il avait rattrapé son impair par une pirouette, m’assurant que les deux accents étaient jolis.
Désormais, je suis en mesure de lui expliquer : le französischer Akzent se détecte en réalité aux intonations et rythmes de la phrase, subtilités minimes pour les oreilles françaises, mais dont la mélodie ravit les oreilles allemandes. Et il semblerait que dans mon cas, si je ne suis pas trop atteinte du syndrome de la prononciation germanique à la française, je donne en revanche beaucoup plus de relief à mes phrases que ne le font les natifs germanophones. Voilà aussi pourquoi un Français me dira facilement que je parle très bien allemand (exception faite du barman de l’ICE), trompé par ses oreilles focalisées sur la prononciation, quand Harald, alerté par les hauts et les bas peu germaniques de mes intonations, sera ravi d’entendre sa langue maternelle adoucie à la sauce française.

Tout est en fait question de musicalité – et un comble pour la musicienne que je suis d’avoir mis un an à le comprendre. Dorénavant, je ne serai plus vexée si mes origines françaises sont instantanément détectées lorsque je parle allemand (exception faite du barman de l’ICE). Et puis je ne vois pas où est le mal à faire chanter la langue de Goethe : après tout, Mozart, Strauss et Wagner s’y sont bien essayé avant moi.

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