J’ai la chance d’avoir à cinq minutes de chez moi le Staatstheater Kassel, qui, bien loin tout de même de la somptuosité de l’Opéra de Vienne, propose néanmoins une programmation musicale et théâtrale très riche. Après avoir testé un concert de musique de chambre (article à venir), j’ai tenté une pièce de théâtre à la mi-novembre : Anne Frank. Pour une grande première au théâtre allemand, je ne voulais pas y aller trop fort, alors j’ai choisi une histoire qui m’était déjà familière, et une pièce que le théâtre destinait à un jeune public (à partir de 13 ans).

J’ai bien fait d’être prudente quant à mon choix de pièce : même en connaissant déjà l’histoire, je suis loin d’avoir compris dans les moindres détails l’heure et demie de monologue. Car, oui, dans cette adaptation, Anne Frank est seule sur scène. Les puristes considèreront peut-être qu’on ne peut pas parler de monologue étant donné que de temps en temps, les paroles de l’actrice sont entrecoupées par une bande-son laissant entendre un personnage, ou une sirène de bombardement. Mais dans les faits, il n’y a bien qu’une seule actrice qui nous fait vivre la pièce pendant 1h30. Alternant entre écriture-lecture d’extraits de son journal, et théâtralisation-récit d’autres passages de celui-ci, Anne Frank nous raconte les dernières années de sa vie, de la réception de son journal le jour de son 13è anniversaire, à la découverte de l’annexe secrète, où sa famille vit cachée. Le décor est aussi simple qu’astucieux, mais surtout, il fait froid dans le dos : sur scène, sont disposés une dizaine de coffres en forme de pavés aux couleurs sombres, qui abritent des accessoires que l’actrice utilise pour illustrer certains de ses récits. Le reste du temps, ils sont refermés, et font bien évidemment écho aux blocs de béton du Mémorial aux juifs assassinés d’Europe de Berlin.

Ma lecture du Journal d’Anne Frank remonte il y a une dizaine d’années, mais je pense pouvoir affirmer sans me tromper que la pièce est fidèle aux récits du livre. En tout cas, elle suit la chronologie du journal, et s’il y a des changements, il s’agit plutôt d’ellipses ou de passages raccourcis. Au-delà de la fidélité au livre, j’ai particulièrement apprécié le portrait d’Anne Frank offert par cette adaptation, à commencer par l’actrice : le teint mat, les cheveux crépus et noués en queue de cheval, qui, sans non plus paraître excessivement âgée, n’a manifestement pas treize ans ; on est loin de la représentation que l’on voit souvent du personnage : parfois rajeunie de manière caricaturale, et systématiquement coiffée du carré que l’on connaît des photos des livres d’Histoire. La pièce est en outre centrée sur Anne Frank (d’ailleurs, elle s’appelle Anne Frank, sans référence au journal dans le titre), et par le parti pris du monologue, tous les récits gravitent autour d’elle. Et offrent par conséquent la vision des événements tels que les perçoit une jeune fille de son âge, aussi mature soit-elle. Pour une fois, cette adaptation insiste sur des traits de caractère habituellement moins représentés : on découvre Anne Frank tantôt capricieuse, tantôt « à côté de la plaque » par rapport à la compréhension d’une situation, parfois à réagir de manière survoltée sans véritable justification (notamment à un moment, elle se retrouve à faire des exercice de danse en plein milieu du salon – j’aurais cru voir ma soeur il y a quelques années). Elle s’indigne contre ses parents qui la réprimandent lorsqu’elle fait trop de bruit, est exaspérée par sa soeur Margot, et nous offre des imitations d’Augusta Van Pels (l’une des autres occupantes de l’annexe) avec une innocence et une franchise qu’un adulte ne pourrait oser. Et je suis certaine que ce portrait moins « lisse » du personnage est plus réaliste. Anne Frank a sans doute été une jeune fille mûre pour son âge, et d’une sagesse incontestable vu ce qu’elle a vécu, mais je pense aussi qu’elle a été avant tout une petite fille de 13 ans (presque) comme toutes les autres.

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