Sparschwein und Brautschuhe
Si vous connaissez quelques mots d’Allemand, vous aurez sans doute déjà compris les deux noms du titre. Si vous êtes un moldu de l’Allemand, petite traduction : un Sparschwein est une tirelire (de Schwein, cochon, et sparen, économiser – le mot est valable même si la tirelire n’est pas en forme de cochon) ; des Brautschuhe sont des chaussures de mariée (de Schuhe, chaussures – mais ça, vous le saviez déjà grâce aux étagères à chaussures – et de Braut, mariée).
Maintenant que tous les niveaux de langue sont à égalité, je crois que vous n’êtes pas plus avancés : quel peut bien être le sujet du jour sur Apfelschorle ? Et surtout, en quoi me concerne-t-il ?
Commençons par expliquer un Hochzeitbrauch (coutume liée au mariage) visiblement monnaie courante en Allemagne, et à ma connaissance pas du tout en vigueur en France. Il est d’usage que la future mariée paye ses chaussures de mariage elle-même, mais pas avec n’importe quel argent : avec les petites pièces qu’elle aura mises de côté durant toute sa vie de jeune fille. Je crois bien que c’est la seule fois dans sa vie qu’une femme ne se verra pas reprocher le montant de la dépense pour l’achat d’une paire de chaussures : au contraire, une belle paire montrera que la jeune femme a su épargner, et saura donc faire de même avec les finances du ménage.
Même si cette coutume se modernise, admettant parfois que la future mariée organise une collecte de pièces auprès de ses amis et de sa famille, elle est visiblement loin de tomber en désuétude : il suffit de se rendre au rayon tirelire de n’importe quel magasin pour constater que d’une part, le Sparschwein est un objet très courant en Allemagne, et que d’autre part, bon nombre de tirelires sont dévolues à cette tradition. Il existe même d’énormes tirelires à une cinquantaine d’euros – je n’imagine pas la paire de chaussures qui en sortira (et je trouve un peu idiot de dépenser déjà autant d’argent pour le seul achat de la tirelire, quand la somme pourrait servir à financer en partie l’achat des chaussures) !
Bien évidemment, comme toutes les traditions aux croyances un peu sexistes démodées, cet usage n’a pas son pendant masculin. Enfin, je crois. En tout cas, c’est moi qui ai appris à mes coloc’s cet usage des Brautschuhe.
Tout a commencé par une conversation sur mon niveau d’Allemand. Mes coloc’s trouvent que j’ai beaucoup progressé et estiment désormais que je sais parler Allemand ; je leur ai répondu que j’avais l’impression de stagner à un palier, que je ne niais pas les progrès, mais que passé désormais l’euphorie des constats successifs d’amélioration, je n’entendais désormais que les erreurs que je commettais. J’ai regretté aussi le fait de ne pas avoir trouvé de Sprachtandempartner (partenaire de tandem de langue) pour pouvoir m’entretenir régulièrement et surtout, me faire corriger de manière systématique et ciblée lors d’un temps de travail hebdomadaire. Enfin, si, j’avais failli en trouver un, mais c’est une autre histoire que peut-être je vous raconterai ici un jour lorsqu’il y aura prescription du grand flop que cela a été (les copines de Francfort, prière de ne pas rigoler trop fort 😉 ). Ils ont été faussement vexés : comment ? ça ne me suffisait pas de parler Allemand au quotidien avec eux ? ils ne parlaient pas assez bien pour moi ?. Si et si. À eux deux, ils représentent au moins 60% des facteurs responsables de mes progrès. Mais je leur ai expliqué que ce n’était pas pareil. On vit au quotidien ensemble, et on communique très bien. Mes erreurs, ils s’y sont habitués, et j’ai parfois l’impression d’être la petite dernière de la fratrie qui n’a pas à se forcer pour se faire comprendre de ses aînés. Il arrive bien sûr qu’ils m’apprennent un mot, une expression, qu’ils me disent que le « a Umlaut » ne se dit qu’en France, ou qu’ils s’attardent sur une explication linguistique quand je leur pose une question. Mais de là à se soucier de mon apprentissage académique au quotidien… ils ne le font pas, et ça n’est d’ailleurs pas leur rôle.
L’un de mes coloc’s m’a dit que si j’y tenais vraiment, il pouvait relever à chaque fois que je faisais une faute. Et que je pouvais aussi mettre une pièce dans un Sparschwein à chaque fois. J’ai pensé qu’il voulait me ruiner, il pensait au contraire me montrer ainsi que finalement, je ne faisais pas tant d’erreurs que cela. Selon le diagnostic qu’il m’a dressé, il y avait deux symptômes à éliminer pour franchir ce palier auquel je me heurtais : les erreurs sur le genre des mots (quelle idée aussi d’avoir une langue où les genres ne correspondent pas toujours au Français… et où, pire que cela, il y a un troisième genre : le neutre !), et les erreurs de déclinaison (et sur ce symptôme, nous sommes tombés d’accord pour dire qu’il était complètement lié au premier, donc peut-être guérissable de lui-même). Mon autre coloc’ a évidemment adhéré à l’idée du Sparschwein, je crois qu’il calculait mentalement la fréquence à laquelle je pourrais leur payer une tournée en la mettant en relation avec une estimation de celle de mes fautes, le tout en évaluant le cours moyen de la boisson à Kassel. Je l’ai arraché à ses rêveries calculatoires et en parfaite maîtresse-rabat-joie, j’ai posé mes conditions : d’accord pour débourser 10 cents à chaque erreur (j’ai d’ailleurs commencé à stocker des pièces de 10 cents et j’en rachète à qui m’en vend !), mais dans un intérêt un peu plus pédagogique, un cahier pour noter les corrections me semblait plus utile. Ils ont accepté la proposition annexe. Et j’ai poursuivi les négociations : le Sparschwein servirait à réaliser la coutume d’achat des Brautschuhe. Ils ont rigolé, autant parce qu’ils ne connaissaient pas cette tradition pourtant allemande que parce qu’avant de songer aux chaussures, il me manque tout de même l’accessoire principal de la panoplie de la mariée. Mais ils ont un peu moins rigolé lorsque le lendemain, je suis rentrée accompagnée d’un beau Sparschwein sur lequel était inscrit : Brautschuhe.
Adieu les tournées gratuites, j’économise désormais pour trouver chaussure à mon pied. Et je suis pour l’instant loin du compte.
[…] comme le nombre de pièces que j’ai glissées dans mon Sparschwein. Certes, je maîtrise beaucoup mieux l’Allemand… mais mes coloc’s n’ont pas […]