Les 10 commandements de l’enseignant en échange – #10

Dans les épisodes précédents :

Ton anniversaire sacré sera

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VRAI. Dix-huit mois jour pour jour que j’ai quitté Kassel, et je confirme toujours autant ce commandement.

Les Allemands ne plaisantent pas au sujet du Geburtstag (de Geburt, naissance et Tag, jour). Lors de notre premier séminaire de préparation à l’échange, une collègue française, qui avait déjà eu une expérience de vie outre-Rhin, m’avait raconté que parmi les premières questions que lui avaient posées ses collègues, celle de l’anniversaire revenait très souvent. Je n’ai pas tardé à le vérifier en arrivant dans mes écoles. À l’issue de la réunion de rentrée, lorsque la directrice adjointe de mon école principale m’a tendu une fiche de renseignements administratifs à remplir, elle m’a précisé que je n’étais pas obligée de tout compléter mais que s’il y avait une ligne à renseigner, c’était celle de l’anniversaire. Je l’entends encore me dire : « Das ist sehr wichtig. » (« C’est très important. »), et voit encore son doigt souligner ses propos. Quelques jours plus tard, mon anniversaire était intégré à la liste de la salle des maîtres, une belle affiche dactylographiée aimantée parmi les documents importants de la pièce. En guise d’ordre  de grandeur temporel, je n’ai eu un casier que quelques semaines après mon arrivée, et j’ai dû le réclamer plusieurs fois au secrétariat. Ré-imprimer un papier couleur est visiblement plus simple – ou plus prioritaire – que de me désigner un casier vide. Dans cette école, chaque collègue avait un Geburtstagspartner (partenaire d’anniversaire), chargé de lui offrir un cadeau, et chaque collègue apportait le jour de son anniversaire un gâteau (maison, et avec plein de crème de préférence) et autres douceurs.
J’aurais pu penser que cette école avait un fonctionnement très atypique, mais ma seconde école n’a fait que renforcer l’idée que je me faisais de l’importance de l’anniversaire. Là encore, au milieu des affichages usuels de la salle des maîtres trônait une belle liste des anniversaires, certes sans Geburtstagspartner, mais le jour de son anniversaire, chaque collègue apportait un gâteau, et son coin de table attitré en salle des maîtres était bien souvent envahi de cadeaux.
En-dehors de Kassel, j’ai également pu vérifier que chaque salle des maîtres était pourvue d’une liste des anniversaires, et quand il m’arrive parfois d’avoir l’occasion de remettre les pieds dans une école allemande, cet affichage est parmi les premières choses que je m’amuse à chercher. En France, je n’ai pour l’instant connu qu’une salle des maîtres où était affichée une telle liste, je n’ai vu qu’une collègue qui apportait des viennoiseries à l’occasion de son anniversaire, et si j’ai assisté à quelques échanges de cadeaux et/ou gâteaux cuisinés par des collègues, ceux-ci relevaient davantage du plan amical.

Au-delà des écoles, je m’étais renseignée auprès de mon coloc’ sur l’importance de l’anniversaire au travail. Après m’avoir répondu que c’était sans doute aussi important qu’en France, il m’avait dit que le jour de son anniversaire, il apportait des gâteaux à ses collègues. À mon étonnement, il avait compris que cela n’était pas aussi systématique en France.
C’est avec lui également que j’ai découvert l’importance de l’anniversaire dans le cadre privé. À chaque anniversaire de ses amis, nous avons été invités à dîner chez eux pour un repas sous forme de buffet maison, et c’est d’ailleurs bien les seules occasions où j’ai découvert les logements respectifs de chacun d’entre eux : pour les autres soirées, nous nous retrouvions systématiquement dans un restaurant ou un bar, jamais chez les uns ou les autres. Pour son anniversaire, mon coloc’ a également reçu ses invités à domicile, après avoir passé la journée aux fourneaux. Lui, qui d’ordinaire ne passait guère plus de dix minutes à se préparer un repas, m’avait épatée ce jour-là par ses qualités de cuisinier !

C’est ce même coloc’ qui, quelques semaines avant mon arrivée en Allemagne, m’avait téléphoné pour régler quelques détails de passation, assisté de ma prédécesseur qui officiait en tant qu’interprète. Le hasard avait fait que l’appel était tombé le jour de mon anniversaire. Alors que nous ne nous connaissions que d’un entretien Skype, il avait commencé la conversation en me souhaitant un très joyeux anniversaire, et l’avait conclue en me présentant à nouveau ses voeux les plus sincères.
Lorsque je me suis installée à Kassel, nous avons reparlé de ce premier contact téléphonique, dont je garde un souvenir surréaliste : j’étais en plein raccord de concert, et au milieu des partitions, notes de présentation et odeurs de colophane, j’étais en train de décrocher un appel d’un numéro inconnu pour finalement régler quelques détails administratifs et logistiques de mon installation en Allemagne. Lui se souvient encore aujourd’hui qu’il avait téléphoné le jour de mon anniversaire.
Près d’un an plus tard, quand j’ai annoncé à mes coloc’s la date de mon départ de Kassel, outre la tristesse de se voir concrétiser mon départ, ils ont tout de suite réagi en notant la date sur notre calendrier de coloc’ (jour de mon anniversaire, et donc date-anniversaire de notre coup de fil de passation dont ils m’ont reparlé à ce moment-là). Ils m’ont demandé si j’allais coupler Abschiedsparty (fête d’au-revoir) et Geburtstagsparty (fête d’anniversaire), mais j’ai décliné leur proposition : calendrier scolaire oblige, je devais programmer mon Abschiedsparty deux semaines plus tôt si je souhaitais voir mes collègues, et il ne me semblait pas raisonnable de recevoir chez nous la veille de mon départ… sous peine de laisser en plan mes deux coloc’s au moment de mon départ avec l’appartement à ranger. Finalement, heureusement que l’idée d’une Geburtstagsparty n’a pas été retenue, car l’un de mes coloc’s est rentré chez lui pour une fête familiale chez ses parents. Mais avant de partir, et de me dire au revoir, il m’a remis un cadeau d’anniversaire en avance : une bouteille de mon gin préféré.
La veille de mon départ a fini par arriver, et après avoir bouclé mes valises, je suis sortie dîner avec mon coloc’ et des amis. Alors que minuit approchait, j’ai senti comme une légère agitation autour de moi – Karambolage vous expliquera bien mieux que moi le mot-concept reinfeiern – et lorsque minuit a sonné, des coupes de pétillant sont apparues comme par enchantement, en même temps qu’a retenti un Happy birthday (oui oui, fredonné en anglais). Nous avons ensuite quitté le restaurant pour divers bars où je me suis vu offrir de nombreux cocktails, puis nous avons fini par rentrer à la maison. Quelques heures plus tard, avant que je quitte Kassel et l’Allemagne, mon coloc’ m’a remis une petite bouteille de bière spéciale documenta – petite parce qu’il savait que j’étais déjà bien chargée pour rentrer en France.
Les heures ont ensuite défilé aussi vite que le paysage que je contemplais depuis le ICE, et avant de passer la frontière, je me suis offert un dernier Apfelschorle (dont je vous avais déjà raconté l’épisode de sa commande ici). Fin de mon anniversaire en Allemagne.

Et fin de la série des 10 commandements… mais reprise du blog ! Et cette fois, j’espère me tenir à cette résolution.

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