Si je devais nommer un lieu emblématique des différences interculturelles entre l’Allemagne et la France, je choisirais sans hésiter le restaurant. Au quotidien, je ne me rends plus compte des divergences entre les deux pays, mais ayant passé quelques jours en France et presque autant de temps au restaurant au début du mois dernier, je me suis amusée de constater que les pratiques dans l’un et l’autre des pays n’avaient rien à voir.

La boisson

En France, on vous demande à votre arrivée si vous souhaitez un apéritif. Vous pouvez décliner. Quand vient l’heure de la commande des plats, le serveur n’oubliera pas de vous demander ce que vous désirez boire avec, espérant que vous commanderez du vin. Malgré l’insistance plus ou moins habile du serveur, vous avez tout à fait le droit de demander simplement une carafe d’eau – cette dernière vous sera offerte et renouvelée à volonté. Si plusieurs convives souhaitent du vin, généralement la tablée commandera une bouteille ou un pichet à partager (cela marche aussi avec une bouteille d’eau gazeuse d’ailleurs).
En Allemagne, impossible de demander une carafe d’eau. Enfin si, cela est possible, mais vous sera facturé ! Avant même d’avoir choisi votre plat, il vous faut commander une boisson ; c’est une étape incontournable lors du premier passage du serveur. Chacun commande sa boisson, et quand le serveur revient avec toutes les boissons de la tablée, il est généralement temps de commander à manger. Autre option possible : commander plat et boisson en même temps. Mais dans les deux cas de figure, pas de partage de boisson : même si plusieurs convives boivent la même chose, tout sera servi en parts individuelles. Au cours du repas, il appartient ensuite à chacun d’interpeller le serveur pour renouveler sa boisson. Parfois, le serveur vous y invitera subtilement en débarrassant votre verre vide.

Le menu

Je ne parle pas du contenu du menu, évidemment bien différent de part et d’autre du Rhin, et variant d’une région à une autre. Je parle plutôt des habitudes de consommation.
En France, il n’est pas inhabituel de consommer entrée, plat et dessert au restaurant, surtout quand des formules sont déjà pré-établies. En cas de faim ou budget plus réduits, les convives suppriment soit l’entrée, soit le dessert. Généralement, quand il s’agit d’une occasion particulière, le dessert est incontournable.
En Allemagne, même si en apparence la carte propose entrées et desserts, votre repas se limitera bien souvent à un seul plat. Mais ne vous inquiétez pas pour votre estomac : les portions sont telles que vous serez rassasiés en une seule assiette.
Les deux pays se rejoignent au moment du café : où que vous soyez, il est tout à fait possible de commander un café en fin de repas.

L’addition

Nous voici arrivés à mon moment préféré ! Un moment pas si anodin qu’il n’y paraît car Karambolage y a consacré ici un sujet entier.
En Allemagne, tant que vous ne demandez pas l’addition, personne ne vous l’apportera, tandis qu’en France, elle peut vous être apportée avant que vous ne la demandiez (cela vaut surtout pour les restaurants où les clients défilent et où les tables doivent être rentabilisées). En France encore, il ne paraît pas incongru de se lever en fin de repas pour aller payer l’addition au comptoir ; en Allemagne, cela n’est pas interdit par la loi, mais disons que ce n’est pas dans les usages en vigueur. L’addition n’est pas encore réglée que déjà, plusieurs différences ont surgi !
En France, sauf si un convive invite toute la tablée, la somme totale dûe est divisée par le nombre de convives. Avec parfois quelques exceptions : l’un peut payer le vin, l’autre l’apéritif, ou l’on peut décider d’arrangements à l’amiable en cas de quote-parts manifestement disproportionnés (par exemple si quelqu’un a consommé du homard pendant que son voisin s’est contenté d’une salade verte). Il est néanmoins rare que chacun paye au cent près ce qu’il a consommé, ce qui est pourtant l’usage en Allemagne. Le serveur en fin de repas se munit d’un crayon (ou de ses qualités souvent excellentes en calcul mental) et dresse l’addition de chacun des convives. Cela prend du temps : la personne lui récapitule ce qu’elle a consommé, sans oublier le nombre de boissons resservies, le serveur annonce le prix, et la personne paye. Ainsi de suite, jusqu’à avoir fait le tour de la table. L’addition est réglée, vous pensez quitter le restaurant comme cela ? Eh bien non, attendez, nous n’avons pas encore parlé du pourboire !
En France, après avoir payé l’addition, libre à chacun de laisser quelques petites pièces de monnaie sur la table selon l’amabilité du service. Le pourboire n’est pas obligatoire, rien ne vous oblige à en laisser un. En Allemagne, sans aller jusqu’à l’établissement d’un système de pourboire comme aux États-Unis, il est d’usage de laisser un pourboire, ou plutôt, de l’inclure dans la note. Et il est d’usage de laisser un nombre entier d’euros. Deux solutions s’offrent à vous : soit vous avez l’appoint, et vous annoncez au serveur « Stimmt so » (car sinon, par politesse, il vous rendra votre monnaie au cent près), soit vous tendez le(s) billet(s) et annoncez le montant que vous désirez payer. Si vous choisissez l’une ou l’autre des méthodes, vous passerez pour un véritable Allemand. En revanche, ne laissez pas de pourboire à la française (sur la table) : cela ne se fait tout simplement pas ! Je conseillerais presque dans ce cas de passer pour un véritable Français en ne laissant pas de pourboire du tout. Car nous sommes connus outre-Rhin pour être de véritables radins du pourboire…

Allez, cette fois c’est bon, vous pouvez quitter la table et sortir du restaurant. Sauf si vous voulez vous arrêter en chemin dans deux restaurants pour que je vous raconte deux anecdotes.
Première halte : un petit bar à Kassel un samedi soir, où nous finissons la soirée tranquillement avec quelques amis. Mon tour pour l’addition approche, et je constate que j’ai oublié le passage par la borne de retrait le matin (à ma décharge, c’était quelques semaines après mon arrivée à Kassel). Ne voulant surtout pas sortir ma carte bleue, j’additionne mentalement d’un coup d’oeil les pièces jaunes, puis les pièces cuivrées qu’il me reste, et constate soulagée que j’ai assez pour payer mes consommations, pourboire inclus. Je vide littéralement mon porte-monnaie, et annonce fièrement au serveur : « Stimmt so! » . J’ai quand même assorti le tout d’un « Entschuldigung » (excusez-moi) quand je l’ai vu ranger toutes mes pièces dans son porte-monnaie. J’ai eu de la chance, il avait le sens de l’humour.
Seconde halte : le sens de l’humour justement, parlons-en ! Nous voici à présent en France, dans un quelconque restaurant (et non pas un restaurant quelconque – au contraire, nous y avons très bien mangé !). Accoutumée à l’Allemagne, j’ai désormais pris l’habitude de payer en espèces au restaurant. L’addition arrive, et je n’ai qu’un billet de 100 euros pour la régler. Autant en Allemagne, j’aurais payé sans complexe avec mon billet vert, autant en France, je ne me sens pas totalement allemande pour pouvoir me le permettre. Je trouve un arrangement avec mon amie : elle me règle sa part, je règle le tout. Nous en avions pour 37,80€, ce que je trouvais tout à fait acceptable pour payer avec un billet de 100 euros. Cela n’a pas été de l’avis du serveur, qui nous a rapporté notre plateau en nous annonçant de manière fort peu aimable : « Tenez, voici vos 52,20€. ». En insistant bien sur le montant. Dommage pour lui, j’étais prête à laisser un pourboire – habitude que j’ai maintenant empruntée à l’Allemagne, même si je suis embêtée à chaque fois pour traduire le « Stimmt so! » (mon « Vous pouvez garder la monnaie » me paraît toujours moins élégant). J’ai remballé mes habitudes allemandes, et ma monnaie, et je suis partie sans laisser de pourboire. En véritable Française.

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