Je n’ai aucun souvenir de 1995, mais je retiens qu’un an plus tard, ma maîtresse de Moyenne Section nous avait expliqué comment marchait le vote. Non pas la mécanique de l’élection du Président de la République, mais comment concrètement les citoyens votaient. Je crois même que nous avions fait une simulation d’isoloir et reçu une carte d’électeur pour nous exercer. Des dizaines d’années plus tard, je me suis rendu compte que ce que nous avions pris pour un jeu n’était pas si anodin et relevait de la véritable éducation citoyenne.
Je retiens de 2002 qu’un populaire mensuel pour les enfants expliquait les élections présidentielles avec des animaux, illustrations de Jacques Girafe et Lionel Lapin à l’appui, quand ma maîtresse de CM2 nous détaillait en cours d’Éducation civique le déroulement des élections présidentielles dans ses moindres aspects, de la majorité absolue au remboursement des frais de campagne pour les plus de 5%. Je me souviens qu’au second tour, mon petit frère, de sa perçante voix d’enfant de quatre ans, ordonnait depuis la fenêtre de sa chambre aux personnes en direction du bureau de vote : « Votez Jacques Chirac ! ». Et que mes parents, malgré leur approbation et le comique de la scène, l’enjoignaient à davantage de discrétion auprès du voisinage. En dernier souvenir de 2002, je retiens que pour le second tour des législatives, j’avais eu le droit d’accompagner ma Maman pour aller dépouiller, et que j’avais rencontré le maire de ma commune, ravi de voir la jeunesse s’initier au devoir civique.
J’ai très peu de souvenirs de 2007, si ce n’est quelques bribes du débat d’entre-deux-tours. J’entends encore le « Madame Royal » que Nicolas Sarkozy ne cessait de répéter à Ségolène Royal – laquelle revendiquait la sanitude de sa colère.
2012 restera à tout jamais ma première élection présidentielle. Ma première élection tout court. Le sujet faisait l’objet de débats quotidiens au restaurant universitaire le midi, et, tels de grands experts des questions de constitutionnalité, nous commentions avec passion l’actualité politique, juristes licenciés que nous allions être quelques semaines plus tard. Je retiens aussi qu’à nous tous, nous représentions presque toutes les tendances politiques. De l’extrême gauche à la droite, en passant par toutes les nuances de bleu, d’orange, de rouge et de vert. Je me revois encore, le soir du débat d’entre-deux-tours, un oeil sur la télévision, un oeil sur l’ordinateur, vérifiant le degré de précision des données chiffrées avancées par chacun des deux candidats : onglet de gauche, Libération, onglet de droite, Le Figaro. Je retiens enfin qu’en me rendant au bureau de vote, le maire – le même que dix ans auparavant – s’était réjoui de voir la relève voter pour la première fois.

Que retiendrai-je de 2017… ?
… l’établissement de ma procuration ? ou ma première élection pendant un long séjour à l’étranger ?
… les discussions animées avec mon entourage allemand à l’approche du premier tour ?
… ce week-end à Neustadt où, même au vert, j’ai vu rouge et bleu ? Dès le train aller, une dame lisait un quotidien allemand qui consacrait l’un de ses gros titres aux présidentielles françaises. Puis entre collègues françaises, le sujet a bien sûr été évoqué. Enfin, dans le ICE retour en direction de Kassel, sur le chemin des toilettes, à quelques heures du verdict, j’ai entendu parler Français… et parler pronostics de ce qui allait venir. Je suis restée un moment dans le couloir, sans dire un mot, pour rester écouter sans me faire démasquer. La situation était un peu irréaliste : jamais je n’avais entendu parler Français sur cette portion de ICE, et voilà que cela arrivait le jour du premier tour des présidentielles.
… la phrase de mon coloc’, qui, lorsque la n-ème actualisation de ma page internet à 20 heures et quelques m’a enfin livré le résultat, s’est exclamé : « Was ist los mit euch? » (« Que se passe-t-il avec vous ? ») ?
… la présence de ma soeur, qui sera en séjour chez moi le 7 mai à 20h ?
Je ne peux pas encore savoir ce que dans cinq, dix ou quinze ans, je retiendrai de 2017. La seule chose que je peux affirmer avec certitude aujourd’hui, c’est que je ne veux pas me souvenir de 2017 comme la victoire de l’abstention ou du fatalisme.
Concitoyens français, ne soyez que citoyens dimanche prochain…

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