Les 10 commandements de l’enseignant en échange – #8

Dans les épisodes précédents :

Le français tu sprecheras*

VRAI. J’ai disséminé au détour de tel ou tel article quelques allusions à l’évolution de mon niveau d’allemand, et peut-être serait-il d’ailleurs intéressant de remettre un jour les étapes dans l’ordre pour noter les paliers par lesquels je suis passée. Mais je n’avais pas encore évoqué ce phénomène de mélange des langues que l’immersion de longue durée a fini par provoquer dans mon cerveau. Sur ma chronologie non encore remise en ordre, cette étape se situe à l’avant-dernier barreau de mon échelle des progrès – un niveau que l’on ne mesure plus nécessairement par rapport aux progrès intrinsèques effectués en allemand… mais plutôt en terme de perte du niveau de français.
Je crois que le basculement s’est opéré au mois de mai. Le constat que l’allemand déteignait sur mon français s’est effectué lors de la visite des Canailles : je n’avais pas parlé français depuis un certain temps, et voilà que lors de mon week-end prolongé en compagnie française, je me suis mise à butter sur certains mots, car le mot allemand prenait le dessus et venait en premier. Je n’avais pas encore connu ce problème à l’écrit, où le laps de temps, aussi court puisse-t-il être, entre la pensée et la mise par écrit, permettait à la bataille linguistique interne à mon cerveau de donner la priorité au mot français. Je n’ai d’ailleurs pas vraiment rencontré ce problème à l’écrit, m’étant plutôt heurtée au problème du dernier barreau : non plus un mot ou une expression en allemand, mais l’intégralité de la phrase qui vient spontanément en allemand.
Pour revenir à ce mélange, la sensation est à la fois étrange, amusante et fatigante. J’avais parfois l’impression d’être retombée au début de mon immersion, où baigner sans cesse dans une autre langue m’assommait le soir à l’heure du coucher. J’en venais presque à regretter cette époque, où mon cerveau, certes bien sollicité et lessivé, fonctionnait cependant en mode binaire : soit tout en français, soit tout en allemand. J’ai néanmoins fini par trouver des avantages à ce décloisonnement, comme par exemple le fait de pouvoir réfléchir plus vite sans devoir appuyer sur l’interrupteur à chaque changement de langue, ou de pouvoir intérioriser les choses à ma manière. En somme, prendre ce qui me plaisait dans chacune des deux langues et m’affranchir des règles de l’une ou de l’autre pour pouvoir fusionner les deux selon les règles de l’une ET de l’autre.

Et puis bien sûr, comment ne pas mentionner cette langue que tout Français qui a séjourné dans un pays germanophone connaît : le mélange franco-allemand. Au début, je m’étais dit : « Pfff, très peu pour moi, jamais je ne jouerai l’expat’ à glisser des mots allemands par-ci, par-là, c’est aussi ridicule que les expatriés français dans les pays anglophones qui s’amusent à employer des mots français… alors même qu’ils ne parlent pas un bon anglais ! ». Je confirme qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! Évidemment, moi aussi je me suis mise à parler le franco-allemand, et ce dès le début avec mon Anmeldung. Puis avec mes collègues français en poste en Allemagne, les messages échangés ont vite pris de belles teintes germaniques. D’ailleurs aujourd’hui encore, lorsque l’on s’écrit, le mélange est encore là… et le pire, c’est que l’on se comprend ! Pour avoir une ribambelle d’exemples, je vous renvoie à cet article,  dans lequel je me reconnais bien – je pense avoir utilisé au moins une fois chacune des expressions.
Je me suis aussi mise à parler le franco-allemand en-dehors de mon cercle d’interlocuteurs germanophones… avec un peu moins de succès pour le coup. En rencontrant une collègue entrant dans l’échange au mois de mai dernier, je lui avais dit que pour mon logement, j’étais tombée dans une super WG, ce à quoi elle m’avait répondu d’un air abusé : « Tu peux dire « colocation » tu sais. ». Bien évidemment que je connaissais la traduction française ; mais je ne lui en ai pas voulu, parce que j’aurais pensé comme elle un an auparavant. Le français est donc à sprecher* avec parcimonie.

*de sprechen (parler), conjugué à la française

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