Comment j’ai dragué (malgré moi) un Allemand

Valentinstag (la saint-Valentin), c’était hier, poursuivons dans le thème pendant que les magasins rangent tout leur attirail commercial jusqu’à l’année prochaine.
Sans faire l’objet d’un temps de travail officiel lors de la formation tandem, les relations franco-allemandes ont bien évidemment été au coeur de bon nombre de discussions entre collègues français et allemands lors de nos différentes rencontres. Il faut dire que le Programme Élysée Prim, même si ce n’est pas sa vocation officielle, est à l’origine de nombreuses unions franco-allemandes (ou germano-françaises), et peut s’attribuer la paternité de nombreux « bébés OFAJ » nés depuis son existence. Paternité directe en ce qui concerne les rencontres entre participants (d’une même promotion, ou de deux promotions différentes), mais aussi indirecte pour toutes les autres rencontres effectuées par les participants au cours de leurs séjours dans l’autre pays (l’OFAJ n’a, à ma connaissance, jamais réalisé de statistiques sur le sujet, mais je peux vous donner un ordre de grandeur : beaucoup). Pourtant, quand on sait à quel point les codes de séduction divergent entre les deux pays, on peut se demander comment ces unions sont nées.

Rien que sur le vocabulaire, les deux pays ne trouvent pas de terrain d’entente. Par exemple, en voulant intituler l’article : « Comment j’ai séduit (malgré moi) un Allemand », je me suis heurtée à une première difficulté : certes, « verführen » et « séduire » sont au premier abord très proches : du latin seducere (détourner du droit chemin) pour le verbe français, composé de führen (conduire) et du préfixe ver- (qui justement indique plus ou moins l’idée de détourner) pour le verbe allemand, a priori on parle de la même chose. Mais en réalité, les choses ne sont pas aussi simples. Pour un Allemand, le verbe verführen sous-entend d’emblée l’idée de manipuler pour conduire aux relations sexuelles (et ça n’est pas moi qui invente, c’est Larousse qui me l’a dit), ce que n’entendra pas un Français avec l’idée de séduire (et encore une fois, c’est Larousse qui me l’a dit : en séduisant, vous pouvez enchanter, attirer, charmer, tenter de plaire, vous imposer par vos qualités… bref, abuser d’une palette de stratagèmes, sans forcément avoir d’autre arrière-pensée). Voilà pourquoi j’ai retouché mon titre initial. Notez toutefois que « anmachen » , équivalent allemand de « draguer » , veut dire dans son sens littéral « allumer ». Attention au thermostat choisi !
Finalement, c’est en allant puiser dans la langue anglaise que les deux pays s’entendent le mieux : le flirt admet la même définition en Allemagne et en France. Mais (oui, il y a un mais), si pour le coup, il n’y a pas de malentendu de vocabulaire, nous faisons face ici à une divergence interculturelle : les Allemands ne flirtent pas. Comme me l’avait très schématiquement résumé un collègue : avec un Allemand, c’est soit pour une nuit, soit pour la vie. Pas de place à l’entre-deux. Pas étonnant ensuite que les Allemands trouvent qu’en matière de relations amoureuses, les Français sont systématiquement dans le flirt, avec la légèreté et l’insouciance qu’ils lui associent.

Cela dit, avant de se demander si on est en train de anmachen ou verführen un Allemand, et de ce que cela sous-entend ou pas, encore faudrait-il savoir par où commencer. Il paraît qu’ici, ce sont les filles qui doivent faire le premier pas. Ou qu’en tout cas, il serait malvenu pour un homme de tenter toute forme d’approche… et risqué : qu’il n’aille pas se plaindre ensuite s’il se fait rembarrer, il l’aura bien cherché. En constatant à quel point je suis tranquille ici, je veux bien le croire : rien à voir avec la finesse (blague) et la subtilité (re-blague) des coqs français. Cette tranquillité, aussi agréable soit-elle, a toutefois sa contre-partie : pour signifier son intérêt à un Allemand, exit les minauderies subreptices et sibyllines à la française, il faut y aller de manière frontale. Voilà ce qui arrive quand on revendique l’égalité des sexes à tout prix… !
Chère Française, si tu n’es pas encore découragée pour tenter ta chance avec nos voisins germaniques, je te livre trois méthodes d’approche en guise de conseil, ni testées, ni approuvées… Je t’aurai prévenue 😉
Approche 1 : la bière. Celle-là, c’est un collègue qui me l’avait donnée lorsque nous étions à Berlin. Selon lui, c’était d’ailleurs le seul moyen de briser enfin la glace avec un Allemand : le faire boire pour le désinhiber… et ainsi parvenir à ses fins. Je vous vois déjà ouvrir des yeux horrifiés, rassurez-vous, je n’ai pas mis cette approche en pratique… mais je suis bien obligée d’admettre que mon collègue est loin d’avoir tort : sortez donc en club le samedi soir, et comptez le nombre de bières nécessaires aux rapprochements !
Approche 2 : l’accent français. Cette astuce découle d’une suggestion de mon coloc’. Nous étions invités début octobre à une WG-Party chez nos voisins du 2è étage, et alors que nous étions dans un coin du salon en train de siroter nos boissons respectives, nous faisions du « repérage » car mon coloc’ m’avait demandé si j’avais jeté mon dévolu sur un convive de la soirée. Réponse négative. Et puis, qu’est-ce que je pouvais bien dire à un parfait inconnu ? Mon coloc’ m’a suggéré de commencer par : « Hallo! Ich bin E. » (« Salut ! Je suis E. »). Me présenter en fait. Super comme conseil. J’ai ironisé : je n’avais qu’à ajouter « Ich komme aus Paris. » (« Je viens de Paris. ») pendant qu’il y était. Il ne plaisantait pas en fait : il s’est exclamé que dit avec un tel accent français, le charme ne pouvait qu’opérer. Au risque de vous décevoir, je n’ai pas mis sa méthode en application le soir-même.
Approche 3 : le « Voulez-vous coucher avec moi ce soir ? ». Je crois que cette approche résulte de l’inconscient collectif selon lequel les étrangers ne connaissent que cette phrase en Français. Pourquoi ne pas tourner la chose en notre faveur après tout : il n’y aurait plus qu’à répondre « oui » à celui qui nous plairait et nous ferait la blague. Dans les faits, les choses ne sont pas aussi simples que ce plan apparemment bien ficelé ! Certes, on m’a fait la blague à maintes reprises depuis que je suis en Allemagne. La légende dit vrai : s’il y a bien une phrase que les Allemands connaissent en Français, c’est celle-là. Mais je précise qu’à chaque fois, c’est une fille qui me l’a dite. Soit les hommes allemands (du moins, ceux que j’ai rencontrés) ne connaissent pas cette phrase, soit aucun d’entre eux n’a osé me la sortir. Il n’y a donc que des filles qui pourraient être mes cobayes pour tester cette méthode. Je sais bien que cette année est placée sous le signe des découvertes et d’expériences nouvelles… mais il y a des limites quand même !

Bon allez, ma chère Française, comme je te vois dépitée par l’échec de ces méthodes, je te livre ma botte secrète. Comme toutes les grandes découvertes de l’Histoire, la mienne découle d’une erreur et n’était pas attendue à ce moment-là. Et comme toutes les grandes découvertes qui ont fait avancer la Science, je songe à la faire breveter avant qu’une autre personne ne s’en attribue les mérites. Voici donc ma méthode, que la postérité retiendra comme étant la méthode Schöfferhofer-Apfelschorle.
Un petit historique culturel s’impose. Schöfferhofer, c’est une marque de bière allemande qui, à deux reprises, s’est servi du französischer Akzent pour faire sa pub. Une première fois en 1997, ici. Une seconde fois en 2011, ici (désolée, je n’ai pas trouvé de version sous-titrée en Français pour cette dernière). Vous noterez au passage l’intervalle de 14 ans entre les deux publicités. Cela veut dire que primo : la publicité de 1997 est tellement mythique et passée dans la culture populaire qu’il a suffi que celle de 2011 n’en soit qu’une simple évocation pour fonctionner ; secundo : le fantasme charme associé à l’accent français ne prend pas une ride. Si vous n’êtes pas germaniste, ou si vous êtes dépourvu d’une bonne oreille, vous ne l’entendrez peut-être pas, mais l’accent français de la demoiselle est particulièrement prononcé. Personnellement, je le trouve horrible, et même si je sais qu’il est impossible d’effacer toute trace de französischer Akzent lorsque je parle Allemand, je m’efforce d’en garder le moins possible.
Revenons à ma méthode. Il y a quelques semaines, j’étais à une soirée où traînaient quelques bouteilles de Schöfferhofer. Je discutais avec une de mes connaissances présente à cette même soirée, et en le voyant se saisir d’une bière, j’évoque la fameuse pub. Il était étonné que je connaisse. Je lui ai alors sorti la fameuse réplique, en singeant l’accent de la pub et en lui précisant que pour mes oreilles de Française, cela sonnait horriblement mal : « und eine Flasche von die Bier, die so schön hat geprickelt in meine Bauchnabeln. » (« et une bouteille de la bière qui a si agréablement pétillé dans mon nombril. » – les fautes en VO ne sont pas de moi, je n’ai fait que citer la publicité). C’était le calme plat dans mon nombril (car en plus, cette bière n’est pas ma préférée), en revanche, ce sont ses yeux qui ont pétillé… et pas (seulement) à cause de la bière qu’il avait consommée au cours de la soirée. S’en est suivi une tirade enflammée sur l’effet que faisait le französischer Akzent aux Allemands. Et des explications sur à quel point ça sonnait si joliment quand je parlais Allemand – et que, vraiment, non, je n’avais pas à rougir de mon französischer Akzent qui m’allait si bien, et qui ne pouvait qu’ajouter à mon charme de Française – Parisienne de surcroît.
Comme tous les grands scientifiques face à leurs découvertes inopinées, je suis restée sans voix devant cette envolée passionnée. J’avoue tout de même que mes joues ont dû un peu rosir, mais on va mettre ça sur le compte de la bière et du chauffage de la pièce. Pour autant, je n’étais pas peu fière de ma trouvaille : jamais un représentant de la gent masculine allemande ne s’était jusqu’à présent aventuré à ne serait-ce que faire allusion à mon manifestement si charmant französischer Akzent.
Mes chères compatriotes, ne me remerciez pas pour cette grande découverte historique, je me suis simplement dévouée malgré moi pour l’avancée de la science. Et dans un élan de grande générosité, je vous fais cadeau des droits d’auteur, à condition d’utiliser la méthode Schöfferhofer-Apfelschorle avec classe et parcimonie. Avec classe parce qu’il ne faudrait pas briser l’image (très positive) que les Allemands ont des Françaises. Et avec parcimonie, parce que je souhaite, pour l’image de vente de ma méthode, conserver les 100% de réussite qu’elle affiche à ce jour.

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